Article Dans Une Revue La revue internationale et stratégique Année : 2024

Exploiter les fonds marins : une nouvelle frontière géopolitique ?

Résumé

À l'heure où la question des approvisionnements en métaux est au cœur des enjeux de souveraineté industrielle, les politiques des grandes puissances se multiplient pour trouver davantage de ressources minérales afin d'alimenter les transitions bas-carbone et numérique 1 . De nombreux pays cherchent à repousser les limites extractives existantes avec non seulement une mise en production de projets moins concentrés en minerais mais également en se positionnant sur des ressources dites de « rupture », comme celles de l'espace, des fonds marins ou de l'Antarctique 2 . Parmi elles, l'intérêt pour les fonds marins est loin d'être récent. Il prend toutefois un sens nouveau avec la compétition pressentie des États à l'horizon 2050 pour sécuriser leurs ressources, avec le développement de technologies rendant la perspective de miner les fonds marins crédible mais aussi avec la pression de certains acteurs pour faire évoluer le cadre réglementaire international. Des pays comme le Japon, les Îles Cook ou la Norvège se lancent ainsi dans l'exploration de leurs fonds marins, alors que d'autres convoitent les ressources sous-marines des eaux internationales. Ces territoires recèlent d'importantes quantités de minerais riches en métaux comme le manganèse, le cuivre, le nickel et le cobalt 3 . Outre leur teneur exceptionnelle, leur localisation, quand elle se trouve au-delà des juridictions nationales, présente des avantages conséquents : ils n'appartiennent à personne et représentent une voie de diversification des approvisionnements sur des chaînes de valeur industrielles actuellement très concentrées, notamment en Chine 4 . Situés à plus de trois kilomètres de profondeur, leur extraction pourrait présenter des avantages non négligeables : automatisation des tâches, conditions de travail moins difficiles, non-recours au travail des enfants et minimisation des impacts sur le foncier, les ressources en eau, la biodiversité et les populations locales. En outre, elle ne nécessite pas la construction d'infrastructures coûteuses et potentiels futurs actifs échoués. Aussi, séduits par la possibilité d’accéder à de nouvelles sources de métaux stratégiques et par la promesse d’une industrie minière possiblement plus vertueuse, de nombreux États se tiennent prêts à conquérir cette nouvelle frontière extractive. La mutation de l’industrie minière de la terre vers la mer, à l’instar des exploitations pétrolières et gazières, représenterait un défi technologique, réglementaire mais aussi diplomatique. En effet, l’essentiel des ressources convoitées se situe dans les eaux internationales, donc sous l’égide de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), un organe des Nations unies chargé d’établir un cadre réglementaire pour l’exploitation des minerais hors des juridictions nationales. Et un nombre croissant d’acteurs s’opposent fermement à toute activité minière sous-marine commerciale. On observe ainsi une opposition grandissante entre États « pionniers », voulant ouvrir un nouveau front extractif métallique, et États « prudents », s’érigeant en défenseurs des surfaces vierges et inconnues de l’océan. L’exploitation des ressources minérales sous-marines émerge alors comme une sphère géopolitique singulière, à la croisée des géopolitiques plus traditionnelles de la haute mer, des ressources minières, du climat et des communs . Les clivages qu’elle entraîne sont révélateurs de la tension actuelle entre une soif de ressources toujours plus importante et une prise de conscience des limites planétaires. À travers la géopolitique de l’exploitation des fonds marins, c’est la question plus générale du « dépassement » des ressources qui se pose . Cet article entend ainsi questionner les enjeux sous-jacents à la conquête de cette nouvelle frontière métallique. Il évaluera dans un premier temps le potentiel des ressources minérales sous-marines sur les plans géologique, économique, sociétal et environnemental. Il explorera ensuite les formes et les motivations de la compétition pour ces ressources, avant de montrer que l’espoir d’une approche multilatérale semble de plus en plus dépassé face à la cristallisation des positions étatiques sur cette nouvelle ligne de fracture.
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Avant la publication
samedi 3 janvier 2026
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Dates et versions

hal-04916623 , version 1 (28-01-2025)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04916623 , version 1

Citer

Emmanuel Hache, Émilie Normand, Candice Roche. Exploiter les fonds marins : une nouvelle frontière géopolitique ?. La revue internationale et stratégique, 2024, 136 (Hiver), pp.173-183. ⟨hal-04916623⟩
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